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Robert Piat (Mauthausen)

 

   "Le 28 avril 1945...   Je suis à bout de forces, inconscient : aucun souvenir ne me reste de ces journées.

   Le 4 mai, nos bourreaux allemands s’enfuient, devant l’approche des Américains.

   Le 5 mai, un détachement blindé américain pénètre dans le camp.

   Le 6 mai, c’est le tour de la première jeep française […].

   Au camp, désormais libéré, les Américains nous donnent des soupes avec beaucoup de margarine et du bÅ“uf en conserve, par centaines, nous sommes fauchés par la dysenterie ; fort heureusement, j’ai la présence d’esprit d’absorber du charbon de bois que je confectionne avec des moyens de fortune."

 

 

André Dau (Buchenwald)

 

   "Le 11 avril 1945, juste avant 15 heures 30, alors que nous nous sommes préparés à évacuer, dans le block en ciment où j’ai rejoint Paul Viard, et que nous sommes accoudés à la fenêtre, les yeux fixés sur le mirador placé au bout de l’allée, un message transmis par les haut-parleurs (« Tous les S.S. hors du camp Â») fait fuir la sentinelle qui dégringole les échelons de son mirador munie de son arme et de son paquetage… Cette fois-ci, ça y est ! D’abord incrédules ou méfiants, les détenus sortent et remontent prudemment vers la place d’appel. Je ne sais comment j’ai, au coin des lèvres, une cigarette de tabac blond ; j’ai décidé de l’allumer après avoir vu mon premier soldat américain. La place d’appel est pleine d’une foule à la fois joyeuse et anxieuse de voir arriver les troupes alliées. Les éléments des organisations nationales mobilisés par le Comité International ont pris le contrôle de la tour du bunker et des locaux administratifs ; devant le standard de la Kommandantur, a pris place un interné qui, toutes les heures, est interrogé par téléphone par la Gestapo encore présente à Weimar pour savoir où en est l’extermination des détenus ordonnée par les S.S…. A 15 heures 30, par les portes largement ouvertes de la tour, pénètre une jeep occupée par des G.I. de la IIIème Armée américaine médusés. Au milieu de l’ovation qui les accueille, c’est à celui qui tentera de s’approcher ; j’arrive à serrer la main de l’un d’eux et allume ma cigarette…"

 

 

Véran Cambon de Lavalette (kommando d'Allach - Dachau)

 

   "Le 28 [avril], les derniers S.S. partent par petits groupes. Nous mangeons leur soupe, ce qui est le plus urgent, pendant qu’une police internationale du camp est créée et prend à tout hasard possession des miradors... Mais le 29, les uniformes vert-de-gris reprennent le dessus ; ce ne sont pas des S.S., et ils se montrent discrets et rassurants. D’ailleurs, l’organisation du camp reste aux mains du Comité international, avec qui ils viennent pourparler. Le représentant pour la France est le docteur Laffite, forte personnalité dont l’autorité contient l’effervescence et calme les excités. Il se crée même un « Comité de loisirs Â» avec un certain Frézius, comique parisien qui donne une représentation.

   Dans la nuit du 29 au 30, un violent bombardement secoue le camp. C’est la pièce de D.C.A. installée derrière le camp juif qui est visée. Emplacement machiavélique qui mettait les avions alliés devant un dilemme : épargner l’usine ou risquer de toucher le camp, et qui aurait permis aux S.S. d’écraser toute éventuelle rébellion. En l’occurrence, ce fut un troisième scénario qui se produisit : le canon converti en antichar croisa ses feux avec ceux des assaillants américains qui tentaient de le museler. Le camp des juifs et celui des femmes furent touchés. Il y eut trois morts et plus de vingt blessés. Mais le matin, au réveil, tous les Allemands, S.S. ou pas, avaient fui.

   Le 30 avril 1945 nous étions libres et saufs. Sur le bureau du Lager Führer, un papier : l’ordre d’Himmler de liquider tous les prisonniers. Pas un seul ne devait sortir vivant, selon la promesse qui nous avait été faite en entrant, et surtout dans l’intention de supprimer tous les témoins accusateurs. Vers 11 heures 30, nous distinguons une formation en ligne des avant-gardes américaines de la 7ème Armée du Général Patch. Ils arrivent de la B.M.W. où les Jeunesses hitlériennes ont été anéanties après un baroud d’honneur. Aucun barbelé ne peut nous résister. Les poteaux de clôture sont renversés. On court dans les champs au-devant des soldats un peu effrayés par cette avalanche dépenaillée. Mais ils ont tout compris. Ces hommes venus du bout du monde en exposant leur vie pour la liberté des autres seront bénis jusqu’à leur mort et tant que nous vivrons, en dépit des amnésiques volontaires. Pour l’instant, tout joyeux, ils nous distribuent leurs cigarettes et leurs chewing-gums. Des drapeaux se dressent à la porte d’entrée. La porte du camp est enfin ouverte. Il s’ensuit un pillage de silos de pommes de terre et des baraques S.S., encouragé par les Américains. Pendant tout le mois qui suivra, à nouveau enfermés dans le camp pour raison de typhus, nous fumerons les cigares des S.S. Dans l’immédiat, nous mangeons leurs pommes de terre, cuites sous la cendre de nos poêles."

 

 

Suzanne Orts (Buchenwald)

 

   "Il faudra cependant attendre le dimanche 22 avril au matin : les S.S. partent ; les Russes et les Polonaises nous quittent. Nous restons huit Françaises dans un petit village, Cavertitz. Des prisonniers de guerre français nous prennent sous leur protection, nous conduisent dans une grange, nous portent un peu de lait avec du pain. Quelle joie d’être avec des amis français, de savoir que quelqu’un veille sur nous ! Après ce petit repas, nous dormons pendant 34 heures. Le lendemain, les Français reviennent avec une marmite de pommes de terre bouillies. « Il ne faut pas en manger beaucoup Â», me dit ma mère ; je n’écoute rien et je mange 25 pommes de terre (petites !) avec leur peau ; je ne suis d’ailleurs pas malade.

   Le 25 avril 1945, un premier soldat russe vient au village en reconnaissance. Premier repas chez des fermiers où travaille un prisonnier de guerre. Les Français nous répartissent dans des fermes ; nous exigeons une chambre, un lit, de la nourriture, menaçant de nous plaindre aux autorités soviétiques. Le samedi 5 mai, cantonnement russe dans le village ; pour l’adolescente que je suis et pour toutes les femmes que nous sommes, la vie devient très difficile avec ces troupes de choc à qui le viol apparaît comme un acte tout à fait naturel… Nous décidons de rejoindre les Américains. Les Français prennent un cheval et une charrette, chargent leurs bagages ; il faut ensuite traverser la Mulde. Nous sommes reçues à bras ouverts ; les soldats nous font entrer dans une maison où nous pouvons changer de vêtements (nous avons toujours nos tenues de bagnardes) et prendre un bain. Depuis un an, nous en sommes privées. Le plus extraordinaire, à nos yeux : nos amis frappent avant d’entrer dans nos chambres ! Nous sommes avec des gens civilisés ; la guerre est terminée et gagnée, et nous sommes vivantes !"

 

 

Lettre de Guy de Swetschin (futur époux de Suzanne Orts) adressée, du 4 mai 1945, à Suzanne Pic-Orts, depuis le camp d’Allach en Bavière

 

" […] Combien et combien en ai-je vu mourir autour de moi, durant ces onze mois, et toujours je pensais : à quand mon tour ? Morts sous les coups, de froid, de typhus, fusillés, pendus, et finalement, ces derniers jours de l’écroulement en Bavière, l’ordre d’Himmler, terrifiant : « Ã©vacuer tous les prisonniers politiques, et, en cas d’impossibilité, aucun d’entre eux ne doit retourner dans son pays Â» Des wagons, des trains entiers de cadavres, des baraques remplies de morts : voilà ce que les Américains horrifiés trouvèrent dans beaucoup de camps, Dachau, à 6 km de notre camp, Buchenwald. Dans notre camp, certains S.S. sabotèrent cet ordre de massacre, ils étaient à ce moment une quarantaine et quelque 300 soldats de la Wehrmacht ; or nous étions 12 000 prisonniers décidés à tout et à vendre chèrement notre peau. Puis, finalement, ils évacuèrent les Russes et nous abandonnèrent. Quelques heures après un duel d’artillerie dans la nuit, combat de chars, et le 30 avril, nous vîmes, derrière nos barbelés, les premiers soldats américains. La Marseillaise éclata, et je restais là, hébété, la gorge serrée, incapable de chanter, pleurant comme un gosse : je n’arrivais pas à réaliser que j’étais un homme libre, libre de vivre, de chanter, de crier ma joie. Minoutchka chérie, tu as dû connaître, toi aussi, avant moi, je l’espère, ce jour, ce moment d’explosion de joie terrible, ce moment formidable de la délivrance tant attendue.

   […]

   Et maintenant, dans le camp, le calme est revenu ; les vivres affluent ; les Américains réquisitionnent pour nous pain, beurre, lait, viande, sucre, gâteaux, pâtes, etc. Le soir, dans les baraques, on chante, on boit, on mange ; les drapeaux flottent sur le camp. On guette les moyens d’écrire en France..."

 

 

 

 

 

LES TEMOIGNAGES DES DEPORTES

  

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