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Le témoignage de Suzanne Orts

  

   "Une barre de margarine, un morceau de pain sont distribués, et nous prenons notre couverture. A deux heures du matin, [le 14 avril 1945] départ sous les coups de schlagues et les hurlements ; plus de 4 000 femmes, dont 250 Françaises, en rangs, 5 par 5.

Le premier jour, nous parcourons environ 60 kilomètres en 27 heures, en pantines ! Il faut à tout prix avancer : celles qui ne peuvent plus suivre sont tuées d’une balle dans la tête. La colonne s’allonge ; tous les camps autour de Leipzig se joignent à nous, y compris ceux des hommes, des Tziganes. Les bas-côtés de la route servent de lits mortuaires pour les déportés assassinés. La marche continue pendant des jours, une longue semaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Nous traversons l’Elbe trois fois, tournant en rond. Jusqu’à la fin, les S.S. nous encadrent, sans nous laisser un moment de répit. Quelques pauses dans les champs et des terrains clôturés. Pas de nourriture : nous mangeons de l’herbe, du colza que  nous arrachons dans les champs.

   Le quatrième jour, une charrette de pommes de terre bouillies traverse le champ, et les gardiens lancent, avec des pelles, un peu de nourriture à cette foule affamée, bataille terrible où nous n’avons pas le courage et la force d’aller arracher quelques morceaux. Depuis le second jour, nous avons abandonné notre couverture qui, mouillée par la pluie, semble peser une tonne. A Orchast ( ?), nous atteignons un terrain parsemé de corps en tenue rayée qui viennent d’être abattus par les S.S. ; notre colonne est dirigée vers ces corps ; les chiens et les S.S. nous encadrent toujours et il nous faut passer par-dessus ces cadavres, chose horrible. Nous restons quelques heures sur ce terrain ; les S.S. nous obligent à faire nos besoins à quelques mètres d’eux ; les femmes qui essaient de se cacher sont tirées à coups de feu comme des lapins. 

 

 

 

 

   Mais tout a une fin : une amie a une crise et elle ne veut plus marcher ; elle hurle, se débat ; ma mère la gifle ; nous la prenons chacune par un bras et nous l’entraînons en pleurs afin qu’elle reprenne la route… Des avions nous survolent : des Anglais piquent sur nous tandis que les S.S. se terrent ; nous acclamons les pilotes qui lancent des tracts et des drapeaux alliés puis mitraillent tout autour du terrain. Heureusement, personne n’est tué. Nos amis sont donc là ! Il faudra cependant attendre le dimanche 22 avril au matin : les S.S. partent..."

Nous vivons ces moments comme un cauchemar ; nous frisons la folie : marcher, marcher, tenir encore et encore. 

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